Évolutions de l'apprentissage

L’Éducation nationale et la loi du 5 septembre 2018
pour la liberté de choisir son avenir professionnel

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Résumé

Les premiers effets de la loi du 5 septembre 2018 au sein de l’Éducation nationale ont été observés dans neuf académies représentatives. La convergence des constats et des analyses recueillis ont ainsi permis de formuler 14 propositions. S’appuyant, a priori, sur l’idée que l’apprentissage est « un outil d’insertion dans l’emploi, au service des jeunes et de l’entreprise », la loi a, en quelque sorte, libéralisé le dispositif.

La nouvelle loi a substitué le financement de la section d’apprentissage par le financement « à l’apprenti ». Les aides financières substantielles accordées aux entreprises ont engendré un effet d’aubaine et provoqué une explosion du nombre des contrats. Il conviendra de mesurer si, avec le temps, l’allègement des charges et les aides financières de l’État demeurent un levier assez puissant pour l’atteinte des objectifs fixés par la loi.

La nouvelle loi a créé un nouvel Établissement Public à caractère administratif (EPA) « France Compétences », (FC) sous tutelle du ministère du Travail, doté de trois missions : assurer d’abord la péréquation financière, ensuite garantir la qualité des formations et la régulation des prises en charges, et enfin maintenir l’organisation de la certification professionnelle. France Compétences dispose de l’ensemble des fonds mutualisés et assure le financement de l’apprentissage.

Onze opérateurs de compétences (OPCO) ont remplacé les vingt anciens organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Comme chaque OPCO a un mode opératoire différent, les centres de formation des apprentis (CFA) qui travaillent avec plusieurs branches professionnelles éprouvent des difficultés pour s’adapter à des modalités différentes. On constate également des taux de prise en charge différents pour de mêmes formations et des changements incessants de coûts annuels. Par ailleurs, il subsiste encore d'importants retards dans l'apurement des recouvrements antérieurs.

La loi a enlevé aux Régions la responsabilité de la formation professionnelle, suscitant une nouvelle collaboration avec les académies. Mais comme les Régions ont en charge les lycées, la question de l’utilisation des locaux, des plateaux techniques et des agents de service s’est immédiatement posée. Se pose également la question de l’exercice de leur mission d'information et d'orientation des élèves, des étudiants et des apprentis dans ce nouveau contexte.

L’augmentation quantitative de l’apprentissage s’est accentuée fortement depuis la publication de la loi, même s’il est difficile à ce jour de quantifier l’apport des changements quasi systématiques de contrats de professionnalisation en contrats d’apprentissage pour les adultes de 26 à 29 ans inclus. Une reprise de l’activité économique dans de nombreux secteurs et un changement de l’image de l’apprentissage y contribuent également car les parents et les enseignants considèrent désormais que l’expérience réelle de travail et l’obtention d’un diplôme en même temps sont un plus.

Mais le dispositif de préapprentissage destiné aux plus « fragiles » semble à la peine. Les académies ont toutes déjà des dispositifs de suivis des jeunes en rupture. Ces jeunes ne répondent généralement pas aux exigences des employeurs, il y a donc un danger à voir ces classes préparatoires à l’apprentissage n’accueillir que les élèves que le collège ne veut pas garder.

Les entreprises approuvent majoritairement les formations par apprentissage et accueillent donc favorablement la loi, notamment en raison de la reprise économique et de l’accompagnement financier.

L’offre de formation par apprentissage est devenue un secteur marchand à part entière, entraînant des inquiétudes sur la qualité des formations qui se multiplient. La vérification de la qualité se fait par la labellisation préalable devenue obligatoire et par les missions de contrôle qui n’interviennent que pour les formations conduisant aux diplômes des ministères certificateurs. France Compétences ne revendique d’ailleurs pas et ne peut pas revendiquer une quelconque compétence en matière de pédagogie. Le contenu de la formation est déterminé par le type de certifications choisi et il faudra être attentif à l’information des jeunes afin qu’ils restent acteurs de leurs choix, en toute connaissance des types de de formation et de certifications qui leur sont proposés.

La sécurisation des parcours est assurée par la mixité des formations dans les EPLE de l’Éducation nationale. Cette mixité des parcours est l’assurance pour le jeune d’aller à la qualification complète même en cas de rupture de contrat, qui est un problème récurrent pour l’apprentissage.

Il est sans aucun doute prématuré d’apprécier l’accès à l’emploi des apprentis. La question demeure de savoir si la loi a permis de résorber le chômage des jeunes, diplômés à la recherche d’un emploi ou ayant quitté précocement le système éducatif et ne parvenant pas à s’insérer ; ou bien la loi n’aurait-elle abouti qu’à un transfert des élèves de la formation sous statut scolaire vers l’apprentissage ? Le public concerné d’un niveau de formation élevé n’aurait-il pas trouvé, in fine, un emploi même s’il avait poursuivi son cursus en formation scolaire, laissant ainsi sur le bord de la route les jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation de quelque niveau que ce soit ?

La loi de 2018 a conduit l’Éducation nationale à des évolutions comme le renforcement d’une concertation interne et d’une communication externe. La concurrence accrue avec le secteur privé a créé pour les académies une réelle opportunité de développement et de cohésion. Il n’existe plus réellement de position de principe contre l’apprentissage.

Les académies se sont massivement saisies de cette modalité de formation qu’elles ont organisée librement en l’absence de consignes de l’administration centrale. Le maillage des EPLE, avec leur GRETA, leur donne un avantage territorial en matière de réponses satisfaisant aux besoins de l’emploi. Les GIP FCIP, GRETA et EPLE ont été contraints d’évoluer dans un paysage transformé par la loi sans qu’aucune préconisation ministérielle sur la place de l’apprentissage en académie ne soit donnée, pendant ces trois premières années. Il est désormais urgent que le ministère de l’Éducation nationale affiche des objectifs en matière d’apprentissage tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

Le développement de l’apprentissage soulève la question de la mission même des lycées professionnels. La dernière réforme de la voie professionnelle, dont la mise en place vient de s’achever, a fait le choix d'opposer deux systèmes de formation : l'apprentissage et le lycée professionnel en donnant la priorité au premier. On peut regretter qu’elle ait été engagée avant la loi sur l’apprentissage et qu’elle n’ait pu prendre en compte la nouvelle situation en incluant ces problématiques.

Le rôle de l’Éducation nationale vis-à-vis du niveau III de qualification continue de se poser puisque ce sont les plus hauts niveaux de qualification qui ont tiré le meilleur profit de la loi.

La question des diplômes et des compétences transversales doit être examinée puisque la loi semble prioritairement destinée à satisfaire aux besoins immédiats de l’emploi tout en réduisant le chômage des jeunes.

Les incidences sur les personnels et les outils de gestion sont multiples. La prise en charge de l’apprentissage par les EPLE et les GRETA a entraîné un travail supplémentaire, administratif et comptable, important. Pour y faire face, les opérateurs ont dû recruter de nouveaux agents. Les GRETA ont dû repenser leur organigramme ; les CFC ont dû s’adapter à leur nouveau métier. Dans la plupart des académies, on note des difficultés de gestion des ressources humaines, et on constate que le statut général des enseignants n’est plus adapté.

La loi est plébiscitée par tous. Assortie de subventions d’État importantes et dès lors incitatives, la loi a contribué à améliorer l’image de l’apprentissage. L’augmentation des entrées est indéniable même si elle découle en partie du transfert d’importants effectifs antérieurement en contrats de professionnalisation. N’oublions pas également que cette loi intervient dans un contexte particulier de reprise économique, de COVID et de modification des règles sur le chômage qui incite à la prudence sur les conclusions à tirer de sa mise en œuvre actuelle. Cependant les auteurs de l’étude formulent 14 propositions.

Pour l’Éducation nationale :
  • Proposition N°1 : Demander au ministère de l’Éducation nationale d’afficher des objectifs en matière d’apprentissage tant sur le plan quantitatif que qualitatif (niveaux de formation, types de spécialités, parcours, passerelles, etc.)
  • Proposition N°2 : Inscrire l’apprentissage dans les projets académiques, dans les projets d’établissement, dans les contrats d’objectifs des EPLE et dans les lettres de mission des chefs d’établissement
  • Proposition N°3 : Réaffirmer l’importance du rôle des DAFPIC dans la maîtrise de la concurrence entre établissements
  • Proposition N°4 : Aboutir le plus rapidement possible à une réforme des LP qui prenne en compte le développement de l’apprentissage et conduire une réflexion sur les LEGT
  • Proposition N°5 : Veiller à la qualité des mixités mises en place (appui à l’organisation des différentes formes d’alternance, individualisation des parcours, différenciation pédagogique …)
  • Proposition N°6 : Assurer le suivi des élèves, des apprentis et des étudiants par un identifiant jusqu’à leur entrée dans la vie active
  • Proposition N°7 : Veiller à ce que l’activité « apprentissage » des GRETA ne se fasse pas au détriment de l’activité « formation continue »
  • Proposition N°8 : Doter les CFA de l’Éducation nationale d’un barème de rémunération des personnels permettant une juste concurrence avec les établissements privés, le « barème de Montpellier » étant obsolète
  • Proposition N°9 : Former les CFC en exercice aux spécificités de l’apprentissage et intégrer cette dimension dans la formation initiale de ces personnels
  • Proposition N°10 : Transformer les rectorats en EPA pour qu’ils soient un partenaire de même niveau que France Compétences et pour concentrer formation initiale, formation continue et apprentissage dans un même centre de décision (Voir la publication "Pour une École de la Confiance" d’IESF)

Pour France Compétences :
  • Proposition N°11 : Apurer rapidement les recouvrements des actions de formation antérieures à la Loi
  • Proposition n°12 : Harmoniser le fonctionnement des OPCO voire créer un OPCO Finances
  • Proposition N°13 : Confier à l’Éducation nationale et aux autres ministères certificateurs le contrôle pédagogique de l’ensemble des formations par apprentissage, y compris celles qui préparent au titre RNCP
  • Proposition N°14 : Réaliser un bilan et un audit des préapprentissages et vérifier l’utilisation des fonds voire arrêter le financement
Groupe de travail de l’association IESF
Françoise DUCHENE
André HUSSSENET
Jacques MADIER
Jacques PERRIN
Jean-Claude RAVAT
Michèle SELLIER
Michel VALADAS
Mars 2022